Coronavirus : Interview sur la pandémie en Afrique et ses conséquences (Partie 6).

Avec Le Professeur Mohamed CHTATOU* Professeur universitaire et analyste politique Rabat, MAROC Propos recueillis par Ornella sukkar**

Quelles nouvelles préoccupations sécuritaires seront sûrement liées à cette pandémie, en particulier à la lumière de l’exploitation des terroristes et du cycle continu de conflits violents, comme les cas de la Libye, du Mali, du Burkina Faso et du Mozambique, qui fournissent des exemples d’un État défaillant qui connaît un conflit violent ?  Est-il également possible que des groupes terroristes bénéficiant d’un soutien religieux utilisent cette pandémie et les difficultés économiques pour étendre leurs activités terroristes au-delà des frontières ?

Malgré des taux d’infection faibles au début, l’Afrique a vu, depuis quelques semaines, une augmentation du nombre de personnes infectées par le COVID-19. Certains experts prédisent que le pic de la pandémie est encore à venir.

Les pays africains ont été avertis du risque s’ils n’abordent pas le problème de front. Face à cette pandémie, les défis à relever sur le continent sont connus : un mauvais assainissement ; des infrastructures de santé faibles ou inexistantes, non seulement pour prévenir la propagation du virus mais aussi pour le traiter ; le manque de ressources pour prévenir la propagation du virus (par exemple, l’accès à l’eau potable) ; et des difficultés à mettre en œuvre efficacement des mesures de restriction des déplacements (telles que des confinements partiels ou totaux).

COVID-19 complique non seulement les problèmes de paix et de sécurité existants dans de nombreux pays, mais constitue également un problème de sécurité supplémentaire pour ceux qui sont déjà confrontés à des crises. Au 13 avril 2020, l’Afrique de l’Ouest avait enregistré le deuxième plus grand nombre de personnes ayant été testées positives pour COVID-19 en Afrique, après l’Afrique du Nord.

Stress hydrique en Afrique

En Afrique de l’Ouest, la Guinée et le Mali ont organisé des élections malgré la situation politique et sécuritaire dans les deux pays, aggravée par la menace imminente de COVID-19. Dans le premier cas, les appels à l’annulation des élections législatives contestées et d’un référendum problématique visant à modifier la constitution n’ont pas été entendus par le gouvernement d’Alpha Condé. Les élections ont eu lieu le 22 mars. Condé (82 ans) a dû faire face à une forte opposition à son projet de supprimer la clause constitutionnelle qui l’empêche de se présenter pour un troisième mandat.

Au Mali, les élections législatives ont eu lieu le 29 mars, malgré le fait que de nombreuses régions du pays restent très instables. Trois jours seulement avant les élections, l’un des principaux leaders de l’opposition, Soumaïla Cissé, a disparu avec son équipe alors qu’il faisait campagne dans la région centrale du Mali. Ils sont toujours portés disparus et auraient été kidnappés par des groupes armés.

Dans les deux pays, le nombre de personnes testées positives au COVID-19 a depuis augmenté. Pour empêcher la propagation du virus, le Mali a imposé un couvre-feu quatre jours avant les élections législatives tandis que la Guinée a déclaré l’état d’urgence quatre jours après les élections et le référendum controversés, qui ont été entachés par la violence. Bien que la Guinée et le Mali ne soient pas les seuls pays au monde à avoir organisé des élections dans l’ombre du virus, des considérations politiques ou électorales ont pris le pas sur les inquiétudes concernant la propagation du COVID-19.

Ces élections pourraient être confrontées à un sérieux défi en termes de légitimité des représentants élus lors de scrutins dont la participation serait faible. Des questions se poseront également sur la manière dont les élections ont pu contribuer à la propagation du virus, compte tenu de l’incapacité apparente des gouvernements à faire en sorte que la population adhère aux mesures de prévention, notamment en respectant la distance sociale et en fournissant de l’eau et/ou des désinfectants pour les mains dans les bureaux de vote.

En attendant, le Burundi doit organiser des élections présidentielles le 20 mai. Le président Pierre Nkurunziza, qui s’est présenté de manière controversée pour un troisième mandat en 2015 et qui s’est depuis accroché au pouvoir en réprimant la dissidence, sera probablement remplacé par le candidat du parti au pouvoir, Evariste Ndayishimiye. Rien n’indique que les élections seront reportées.

Malgré les appels des Nations unies (ONU) à des cessez-le-feu dans le monde entier pour stopper la propagation de COVID-19, les combats n’ont pas cessé dans de nombreuses régions du continent africain, pas plus que les attaques terroristes. Le 23 mars, Boko Haram aurait tué environ 92 soldats tchadiens et blessé 47 personnes dans le village de Boma, dans la province des lacs du Tchad, près de la frontière avec le Nigeria et le Niger. Le même jour, l’armée nigériane aurait également subi un coup dur, avec 70 soldats tués.

En représailles, le Tchad a lancé une offensive militaire massive – l’opération colère de Boma – qui, selon le gouvernement, a délogé Boko Haram de la région du lac Tchad. L’armée tchadienne a obtenu des gouvernements du Niger et du Nigeria l’autorisation de suivre Boko Haram sur leur territoire national. De l’avis général, il semble qu’il s’agisse d’une véritable offensive militaire pour tenter d’anéantir Boko Haram.

Le Burkina Faso, le troisième pays d’Afrique de l’Ouest pour le nombre de cas COVID-19 (au 15 avril 2020), n’a pas non plus eu de répit face aux terroristes. Il reste la cible d’attaques terroristes et a tenté de réprimer les menaces tout au long du mois de mars. Parmi les derniers événements signalés, 19 personnes ont été tuées dans un attentat perpétré les 28 et 29 mars.

Le Niger n’a pas été épargné non plus. Le pays a subi et contré plusieurs attentats terroristes au cours du mois de mars.

Les endroits où les conflits se poursuivent sont probablement ceux où le virus pourrait frapper le plus durement, étant donné le chaos, les mauvaises conditions sanitaires et l’absence de systèmes de santé. La République centrafricaine (RCA) est, de ce point de vue, probablement la moins à même de contrebalancer la propagation éventuelle de la pandémie sur son territoire, y compris dans sa capitale Bangui et ses environs. En outre, alors que COVID-19 faisait son chemin sur le sol centrafricain, les combats entre groupes armés rivaux continuaient à faire rage dans le pays.

Un autre pays exposé, le Cameroun, compte le plus grand nombre de cas de COVID-19 (au 15 avril) en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Pourtant, le conflit dans ses régions du nord-ouest et du sud-ouest n’a connu aucun répit. Alors que les forces de défense du Sud-Cameroun ont accepté un premier cessez-le-feu de 14 jours, le conseil d’administration de l’Ambazonia, qui dirige les forces de défense de l’Ambazonia, a refusé de suspendre les combats.

De même, la République démocratique du Congo (RDC) est en proie à l’instabilité et au conflit, en particulier sur son flanc oriental, où elle lutte également depuis deux ans contre l’épidémie d’Ebola. Bien que l’arrivée de COVID-19 dans le pays coïncide avec la fin imminente de la crise Ebola, une épidémie de rougeole en cours a causé plus de 6 000 décès l’année dernière, selon l’Organisation mondiale de la santé. D’autre part, la RDC pourrait tirer parti de son expérience en matière de lutte contre les virus, d’autant plus qu’elle a nommé le chef de l’équipe de réponse à Ebola, le professeur Jean-Jacques Muyembe, pour diriger la lutte contre COVID-19.

Plus inquiétant encore pour la région de l’Afrique centrale au sens large, les pays producteurs de pétrole, qui se remettaient lentement d’un effondrement causé par une chute des prix du pétrole brut en 2014, seront à nouveau touchés par la récente chute spectaculaire des prix du pétrole. Il sera donc beaucoup plus difficile non seulement de faire face à la pandémie dans les prochaines semaines, mais aussi d’absorber les retombées économiques de la COVID-19.

COVID-19 constitue donc un défi sécuritaire supplémentaire pour de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Faire face à cette pandémie tout en continuant à lutter contre le terrorisme et en endiguant d’autres conflits est une tâche herculéenne.

Stress hydrique en Afrique

Le continent est maintenant mobilisé pour trouver une stratégie commune de lutte contre la pandémie et venir au secours des États africains les plus vulnérables, y compris ceux qui sont confrontés à des crises au Sahel. En fin de compte, dans cette lutte, l’Afrique ne peut pas se permettre d’attendre que le salut vienne de l’étranger. En outre, la réponse collective du continent ne sera efficace que si les gouvernements et les autres parties prenantes nationales s’engagent à s’attaquer aux problèmes chez eux.

A suivre…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *